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Le loueur de camion

Pour leur dernier voyage, certains choisissent l’avion. Ils embarquent avec eux 300, 600, voire 700 personnes.
Lui, il choisit le camion. Pour quelle utilité ? Un déménagement ! Oui, il veut que ça déménage !
Il présente ses papiers, choisit son modèle, signe un contrat puis il repart au volant de son engin de mort. Il définit sa destination, prépare ses munitions, range dans ses cases mentales la suite des opérations. Il repère son trajet, révise son scénario pour être sûr de réussir. Puis le 14 juillet, cet homme à la tête cabossée sert son feu d’artifice.
Avant qu’il ne passe la première barrière, des familles enjouées, des amis regroupés, des couples enlacés, portent déjà des étoiles dans les yeux. Heureux d’être là, ils s’apprêtent à s’émerveiller devant des lumières scintillantes qui grimpent jusqu’au ciel et s’explosent en mille éclats d’étoiles. Certains rient, d’autres se chamaillent. Mais tous choisissent avec application leur place dans l’espoir d’obtenir la meilleure pour assister à ce spectacle offert en hommage à la liberté.
Ces soirées particulières sont celles au cours desquelles certains parents cèdent à l’achat d’une glace, d’un ballon, d’une babiole qui trainera dans une chambre d’enfant avant d’être égarée. Pas de préoccupations budgétaires dans ces moments particuliers. Demain est un autre jour. Il n’y a qu’un 14 juillet dans une année. Il fait beau. C’est l’été.
Mais ce soir-là, ce n’est pas dans les airs que se déroule le feu. Il déboule du côté droit de la route, en passant d’abord sur le trottoir pour regagner la rue. Il fonce à vive allure et percute la vie, fait passer les êtres de la joie à l’horreur. Il écrase, coupe en morceaux, sépare et tue. Il entraîne sous ses roues des femmes, des enfants et des hommes qui se sont trouvés, à cet instant précis, sur la promenade des anglais.
Le bouquet final est posé par quelques policiers qui abattent de leurs balles ce conducteur fêlé.
Le feu dans la tête de cet homme est un feu meurtrier. L’artificier du cauchemar. L’auteur d’une effroyable violence. Le déménagement des convictions obscures. Et ce soir du 14 juillet devient une barbarie qui, malheureusement, a déjà tant existée…
Se battre pour des idées. Massacrer pour instiller la peur. Tuer pour dominer. Assassiner pour sa croyance. Se prendre pour un Dieu alors que c’est le Diable.
Pas d’applaudissements lorsque l’explosion s’arrête enfin. La stupeur et le choc ont pris toute la place. L’inimaginable existe. Il frappe lorsqu’on ne l’attend pas. Il y a ceux qui ont rejoint les étoiles. Il reste ceux qui vivent en se sentant coupables, coupables de ne pas être morts à la place d’un enfant, d’une sœur, d’un ami, coupables de survivre au milieu de ce champ de bataille. Il reste ceux qui pleurent et qui se sentent perdus. Puis il y a ceux qui marchent sur un fil entre la vie et la mort, leurs proches qui angoissent. Il y a aussi ceux qui tendent leur main pour aider à se relever des êtres traumatisés. Certains ne perdent pas le Nord, objectif élections, à force d’arguments et puis d’explications. D’autres dictent le regroupement parce qu’ils parlent de guerre…
Oui, la guerre… Il existe l’obscur mais aussi la lumière. Je choisis cette dernière. Qu’on me dise rêveuse, idéaliste… peu m’importe. Je n’ai pas de putain de camion et n’en loue pas non plus. Je ne porte pas de bottes ou alors elles sont sans clous. J’avance à petits pas mais à petits pas certains.
ANNE WEYER
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