Média_Texte_De l’amour de soi à l’amour de l’autre
De l’amour de soi à l’amour de l’autre

Je prétends aimer l’autre alors que je m’aime si peu… Comment est-ce possible ?
Et si j’aimais l’autre seulement lorsqu’il me renvoie une image positive de moi ? Lorsqu’il correspond à mes attentes, mes désirs ?
Et j’aimais l’autre lorsqu’il me renvoie l’image que j’ai de moi, image bien inconsciente cette fois ! En effet, je peux aimer celui qui me rejette, qui me maltraite… Je l’accuse et, en même temps, je m’accroche à des chimères, à des miettes qui me sont envoyées, à mes espoirs qui sont simplement du désespoir… Je me regarde et liste tout ce qui me déplaît chez moi, ce qui n’est pas assez, trop ou trop peu. Je me critique, je me maltraite. Je critique l’autre et pourtant, je retourne à ma quête, sans me questionner, sans me regarder, sans m’écouter, sans voir le chemin. Je me maquille, me planque derrière le fard, prend deux ou trois cachets qui me permettent de me cacher et je me sens mieux… pour quelques instants.
Et si j’aimais l’autre parce que j’ai le sentiment de lui apporter quelque chose, parce que je me sens valorisée par le biais de mes apports, le considérant par la même inférieur à qui je suis, imaginant dans son regard une admiration à mon égard, n’entendant et ne percevant pas que lui aussi me fait grandir et avancer…
Il existe sans doute bien d’autres raisons à ce que je prétends être l’amour de l’autre…
La question première n’est-elle pas de se demander ce que c’est vraiment ? Une étincelle, une vibration, une tendresse à l’égard de tous mes doubles que je croise… Mes multiples miroirs. Je ne me vois que dans la glace de la salle de bains alors que tout être que je croise reflète un petit peu de moi. Il me renvoie qui je suis, ai été ou pourrait être. Il me balance au visage ce que j’ai à observer, travailler, il me souffle de ne pas tomber dans le piège de l’illusion. Est-ce que j’entends ce qui est dit, mais surtout ce qui ne l’est pas ?
Et l’amour de soi alors, d’où vient-il ? Je ne parle pas d’amour narcissique. Je parle de celui qui m’autorise à me respecter, celui qui fait que j’ose m’écouter et exprimer le stop qui m’est nécessaire au cœur d’une relation, dans le tumulte d’une dispute, lors d’une réunion capharnaüm, celui qui m’aide à donner mes limites, celles que je ne peux franchir, celles qui me font dire jusqu’où je me sens capable d’aller… jusqu’où je ne m’engage plus, je n’assure plus, je ne réponds plus…
Comment naît-il ? Comment apparaît-il ? Voire comment se construit-il ?
Peut-être lors du premier toucher, du premier accueil, du premier regard… mais sans doute au fil des nombreux jours qui s’ensuivent.
La relation avec un tout petit s’établit aussitôt puis jour après jour. De quelle manière est nourri cet enfant, adulte de demain ? Biberonné à la peur, aux doutes, aux angoisses parentales, aux questionnements insidieux, aux craintes dormantes ? Eduqué, voire dressé pour correspondre à ce qui est attendu de lui ? Reconnu pour ce qu’il dit et fait et trop peu souvent pour qui il est ? Parfois maltraité relationnellement, psychologiquement ou physiquement et tout ça au nom de l’amour ! Quelle ironie et quelle tristesse ! Alors ce petit être aura à traverser les montagnes du doute et de l’apprentissage pour lâcher les pollutions diffusées par le mode de communication ambiant et découvrir peut-être un jour, ce qu’est l’amour de soi.
Ce merveilleux jour, il sentira alors poindre en lui l’amour de l’autre, cet amour qu’on appelle inconditionnel… pas celui qu’on énonce, qu’on se raconte ou qu’on s’invente.
ANNE WEYER
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