Média_Texte_Comment_rendre_le_citoyen_heureux
Comment rendre le citoyen heureux de la restriction ?
Ce n’est guère compliqué.
Il suffit juste d’un peu d’habilité et du métier.
Vous l’arrosez de discours sans fond.
Vous le perdez avec des courbes, des chiffres et des tableaux.
Jamais de pourcentages qui rendraient le contenu du propos dérisoire.
Vous faites croire à une intervention du grand chef un jour donné.
Alors, le citoyen attend, pendu aux lèvres du décideur.
Ô surprise ! Finalement, il ne dira rien le jour initialement prévu.
Peut-être en fin de semaine, quoi que… à suivre… Il réfléchit, il étudie.
Martine, Véronique, Armand, Violaine, Lucile, Fred et les autres attendent…
Et les jours passent.
Ils ne peuvent rien prévoir parce que ça dépend de…
De ce qui va être annoncé bien-sûr.
Ils vivent donc dans une espèce de marécage… Le ciel est gris, il cache le soleil et gâche la vue.
Pas d’horizon, pas de projection, pas de rêve… juste l’attente…
Le citoyen se branche sur un écran, chaque jour que Dieu fait.
Il guette, attend, fébrile et incertain.
La presse se charge de le promener, un coup par ci, un coup par là.
Il a la nausée à force de tanguer.
Il devient même impatient… impatient d’entendre à quelle sauce il va être mangé.
N’est-elle pas géniale cette stratégie finement étudiée ?
Elle est celle de la menace.
Elle coupe l’élan vital.
Elle maintient dans la crainte, elle courbe le dos de celui qui en est la victime.
Les jours se suivent et le suspens augmente.
L’angoisse et l’anxiété gagnent du terrain, inexorablement.
Et cela est presque jouissif pour celui qui maintient la barre.
En tout cas, il s’assure par là même l’adhésion maximale à sa future décision.
Car s’il annonce la fermeture de tout ce qui apporte un reliquat de plaisir dans cette société muselée et qui fait croire à un semblant de liberté, s’il annonce l’enfermement obligatoire dans les foyers, le citoyen sera heureux, heureux de savoir enfin ce qu’il en est. La décision, aussi dure soit-elle, a toutes les chances d’être acceptée tellement l’attente et la menace furent inconfortables.
Préférer la prison à la peur d’y être mené. Emprisonner la pensée avant l’Homme… Le piège n’est-il pas subtil ?
ANNE WEYER
.