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Chamailleries de fratrie

Ils ont soixante-dix ans et plus, sont de la même fratrie.
Ils discutent, se disputent. Jour de repas de famille. La grande sœur le houspille, tout vieux cadet qu'il est.
Ce dernier entreprend de faire la cuisine. Elle rétorque : "Impossible ! Tu ne fais rien de tes dix doigts !". Mais ce têtu insiste. Il va le lui prouver, qu'il sait se débrouiller !
Ils sont face aux fourneaux. Et alors elle le guette, le guette ou guette l’échec ?
Il commence à peine à préparer sa tâche, qu’il entend qu’il est niais, qu'il ne sait pas s’y prendre. Mais buté comme il est, il persiste, continue.
Elle épie, elle surveille, elle commente chaque geste. Le choix du condiment, la quantité dosée.
Il dit que ça ira. Elle dit que ça n’ira pas.
Il plonge la cuillère de bois dans la casserole de leur enfance. Elle y ajoute du sel, alors ça pique un peu. Il essaie de diluer. Les aigreurs sont tenaces.
La grande sœur supervise, faisant face à l’enfant, que sa mère aimait tant.
Elle l’aime et le déteste. Il est du même sang, elle veut le protéger en rêvant de le gifler.
Tous deux dans la cuisine, ils rejouent leur histoire. Ils se battent le regard de celle qui est au ciel.
C'était le préféré, le garçon adoré ! Ne jamais le critiquer, sa mère devenait mauvaise, toute prête à griffer !
Celle qui est arrivée en premier dans le nid, n'était qu'une petite fille, pas le bambin attendu. Et malgré les années, l'enfant devenue femme, s'est toujours ressentie comme celle qui est rejetée. Elle a fait tant d'efforts pour remporter la palme ! Mais elle avait toujours un cheveu de travers, un mot trop déplacé pour celle qui était sa mère.
Cette femme est meurtrie d'avoir bien trop aimé celle qui l'a engendrée. Vouloir être reconnue alors que le plus petit la maintient dans son ombre.
Enfin, c'est bien ainsi qu'elle retrace leurs vies.
Alors au moindre prétexte, elle veut régler ses comptes. Montrer qu'elle méritait toute la reconnaissance, de celle qui l'ignorait.
La partie est finie, la maman est partie.
Mais les peines sont tenaces. Les blessures non soignées suppurent pendant bien des années. Juste une petite casserole, les fumets de l'enfance remontent à la surface. Il ne faut pas grand chose pour faire tourner la sauce...
ANNE WEYER
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