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Jean-Pierre Bacri

Jean-Pierre Bacri est parti rejoindre les étoiles la semaine dernière. Son jeu d’acteur me fascinait. Je viens poser des mots sur ce que je voyais chez ce comédien que j’aimais retrouver à chaque sortie de film qui portait son nom à l’affiche.
Je ne parlerai pas de l’homme que je ne connaissais pas, mais bien des rôles qu’il interprétait.
Il avait ce regard de chien battu, d’être blasé, cette moue particulière, ce dépit face à de banales situations de l’existence. Il ronchonnait à merveille, râlait, grognait, s’emportait comme tant d’êtres sur cette Terre. Il nous plongeait dans des sentiments contradictoires pouvant être ressentis face à un personnage bourré de paradoxes, merveilleux représentant de la détestable victimisation, mais cependant doté d’un cœur aussi gros que celui d’un ange. Il se montrait triste ou joyeux, dépité ou emporté, taiseux ou bavard, pas drôle et très drôle.
Au travers des rôles qu’il a choisis ou pour lesquels il a été choisi, il incarnait l’être humain dans toute sa complexité, celui que l’on aime et que l’on déteste.
Il savait être un donneur de leçons envahi par le doute. Il clamait des certitudes parfois absurdes avec un aplomb remarquable. Il pouvait faire preuve d’une mauvaise foi extraordinaire.
Son attitude exprimait tant de blessures non conscientisées. C’est cela qui me plaisait particulièrement dans son jeu. Aussi, très souvent, j’ai pu conseiller, à des personnes que j’accompagne en thérapie, de regarder certains de ses films pour qu’ils puissent se reconnaître ou percevoir la souffrance cachée derrière des postures d’assurance. Il caricaturait des attitudes que nous pouvons tous avoir et que nous nous évertuons à planquer parce qu’elles ne sont guère glorieuses.
Il pouvait être le père détestable et égoïste, il pouvait être aussi celui qui, derrière son comportement bourru, ne pense qu’à ses enfants, trop pudique et donc incapable de montrer son amour, générant sans le vouloir, des manques abyssaux chez eux.
Il était aussi celui qui ne prend pas ses responsabilités, le fuyant, le faible, le lâche et donc l’hurleur pour mieux cacher cette honte de lui-même, sans pour autant être capable de changer quoi que ce soit chez lui.
Il n’avait pas son pareil pour jouer l’homme qui taille des costumes sans vergogne à celui qui passe dans sa vie. Il rhabillait tout son entourage pour mieux cacher sa rage, ses frustrations et son impuissance.
Égoïste fabuleux, il pouvait accuser l’autre de l’être et cela, sans vergogne, montrant combien il est possible de voir chez l’autre ce que nous ne voulons pas regarder chez soi.
Bourré de préjugés, il arrosait son environnement de tous ses jugements tranchants n’admettant aucune réplique, hurlant pour s’assurer de ne pas entendre l’autre.
Il jouait toutes les tendances ou les composantes psy à merveille, de l’hypocondriaque au dépressif en passant par le bipolaire et l’hystérique.
Puis, le film d’après, nous pouvions le découvrir naïf, humilié, abandonné, amoureux transi, timide et sans aucune confiance en lui. Il était celui qui se fait avoir sans rien y voir, celui qui était trompé, que tout le monde regarde avec tristesse et pitié alors que lui se croit encore le cador.
Comme il était juste dans ses interprétations ! Quel talent !
Combien de messages d’alerte a-t-il porté au travers de ses rôles ? Ont-ils été vus, entendus, intégrés ? Ou ont-ils simplement généré des rires ou des critiques ? Est-ce que chacun a su, à un moment donné, voir combien il illustrait, au travers de ses personnages, toutes les nuances de la victimisation humaine ?
Certains de ses rôles m’ont particulièrement touchée et marquée.
Je le remercie du fond du cœur d’avoir porté à l’écran ou au théâtre, toutes ces facettes humaines que chacun d’entre nous peut préférer nier ou voir chez les autres, parce qu’il serait trop dur de les regarder chez soi.
ANNE WEYER
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